CLAUDE LEMESLE

Un homme de "paroles"

Photo de Claude Lemesle S'il fallait attribuer à un artiste l'étiquette "d'homme tranquille" chère au cinéaste, ce serait sûrement à Claude Lemesle, le plus discret des auteurs en même temps que l'un des plus actifs, à tous points de vue. Entendez par "homme tranquille" quelqu'un qui n'hésite pas à se lever et s'engager dans la bataille lorsque c'est nécessaire, du Syndicat National des Auteurs Compositeurs (SNAC) au Conseil d'administration de la SACEM, pour défendre les intérêts de sa profession, qui se soucie autant de ses pairs que de ses disciples, et a par-dessus tout le respect du public, le sens des gens.

Un homme de combat donc, passionné d'histoire et de sport (un vrai fou de foot !), qui serait plus à rapprocher du marathonien sachant doser ses efforts, en l'occurrence ses pages d'écriture, que du sprinter estival de hit-parade, un de ces auteurs qui ont un rendez-vous régulier, un vrai contrat avec la chance et le succès et jalonnent leur chemin et nos vies de souvenirs en forme de refrains : tout le monde a (au moins !) une chanson de Lemesle en tête, si ce n'est dix ou vingt.

N'est-ce pas d'ailleurs par un certain Jeu de la Chance télévisé qu'il entra dans la carrière il y a juste quarante ans ? Son petit chemin sera ensuite jalonné de titres autant que de prénoms prestigieux : Mireille, Joe, Alice, Serge, deux Michel (Sardou, Fugain), deux Gilbert (Bécaud, Montagné), Carlos, Julio, Sacha, Nana, Melina, Isabelle, Mort, on en passe et on y reviendra. Comme pour son aîné et partenaire Pierre Delanoë, il est plus facile d'énumérer ceux pour qui il n'a pas travaillé que l'inverse, en 1350 chansons enregistrées (sur 2000 écrites !) et plus d'une centaine d'interprètes : tout le monde a chanté du Lemesle un jour ou l'autre, à commencer par Lemesle lui-même ! Car au départ, cet auteur était chanteur, plus exactement "ACI", et il le redevient parfois avec bonheur, guitare en bandoulière et fleur aux dents...


Les années Joe Dassin

Né en 1945 à Paris de parents photographes (son frère reprendra d'ailleurs le flambeau), le jeune Claude aurait sans doute pu devenir professeur, mais il apprend d'abord à écrire, à bien écrire, avant d'apprendre aux autres à le faire : notre homme a de la suite dans les idées. Il fait successivement des études supérieures de Lettres (les fameuses Hypokhâgne et Khâgne) et une licence d'histoire en Sorbonne : ce qu'on appelle un solide bagage intellectuel, a fortiori quand on a une six cordes dans l'autre main.

A ce moment-là, le parcours des jeunes combattants de la chanson passe invariablement par plusieurs bonnes adresses : "Le Petit Conservatoire" de Mireille, "les Relais de la chanson française", qu'il remporte en 1966, les cabarets (l'Ecluse, le Cheval d'Or, les Deux Ponts...) et les fameux "Hootnanies" de Lionel Rocheman au Centre Américain du boulevard Raspail, où l'on vient découvrir les premiers enfants du rock et de la Rive Gauche, la fine fleur des années soixante dix, de Maxime à Dick en passant par Alan.

Photo de Joe Dassin En 1966, il y fait la rencontre de sa vie, un jeune étudiant américain en anthropologie, docteur en ethnologie, cow-boy de campus et fils d'artistes qui ne jure que par le blues et le folk : Joe Dassin qui fait ses débuts en même temps que lui et cherche encore sa voix de ce côté-ci de l'Atlantique après quelques apparitions fugitives à l'écran. Ils ne se quitteront plus.

Aussitôt dit, aussitôt fait, Claude entre dans "l'équipe à Jojo", qui comptera aussi Pierre Delanoë et au départ le tandem Thomas-Rivat, et c'est bientôt le début d'une longue série de succès sous la houlette du directeur artistique Jacques Plait et de l'arrangeur Johnny Arthey : "La Fleur aux dents", "L'équipe à Jojo", "La Demoiselle de déshonneur", "L'été indien", "Ca va pas changer le monde", "Et si tu n'existais pas", "Si tu t'appelles mélancolie", "Dans les yeux d'Emilie", "Le dernier slow", "A toi", "Salut les amoureux", "Vade retro", "Le café des trois colombes", etc.

Une centaine de titres si personnels et si bien écrits, parfois à quatre mains avec Pierre Delanoë, l'efficacité de l'un complétant la subtilité de l'autre, qu'ils font de Joe une sorte d'auteur-compositeur-interprète avant la lettre, le plus américain des folksingers ou le plus français des songwriters. Les chansons de Joe Dassin sont régulièrement reprises d'ailleurs par la jeune génération : "Et si tu n'existais pas" par Willy Denzey, "Salut les amoureux" par Miossec, etc., en attendant la Star Ac' ! Comme dirait un autre, tout est bon chez eux, il n'y a rien à jeter, mais Claude y apprend du chanteur, pétri de doute et d'exigence, qu' "écrire, c'est réécrire".

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